Je. Ainsi, sans verbe ni autre ensemble de symboles. Je. A elle seule devrait suffire pour dire et déclarer. Et ce n’est pas Moi, ce moi qui a toujours besoin d’attributs, d’avoirs; d’un costume tissé de récits pour couvrir sa nudité et se sentir Etre, pour Paraître beau devant un miroir supposé accroché au mur fictif séparant corps et âme. Un moi corps et un moi âme, sirotant le peu d’existence accidentelle, ratant le temps puis enterrés l’espace d’un récit. Alors que Je, en tout et pour tout.
Je, principe actif, fraction de fraction de micro-seconde aussi indéfinissable que concrète, proposant un bel actant, toujours sur le point de commencer quelque chose et de finir quelque chose. Toujours sur le point, abstraction faite du sens. Toujours bougeant d’un bout à un autre, tel une grenouille traversant la marée en sautant de pierre en pierre : ainsi Je existe. Non comme un glissement de Moi, mais comme affirmation éternelle du mouvement. Je vient seul, nu, dé-sensé. Mouvement vain ou enrichi de morale, de fin, de sens : il n’y a que Moi pour s’y noyer.
Je est un autre, comme dirait le poète muté en marchand de vies. Je est un autre que Moi. L’un se fait en faisant, l’autre se déclare en se croyant vérité absolue, se construit en se projetant; comme une porte circulaire qui s’ouvre au moment de sa fermeture. Je est un autre, comme l’avait formulé le poète des vies volées. Un autre n’est pas L’Autre. L’Autre est là, clairement manifeste, bien taillé bien dessiné; un spectre en négatif de Moi; ce qui est interdit à Moi de devenir; ce à quoi il est impensable à Moi de ressembler. Je est un autre que Moi. Un autre qui se définit chaque instant par l’Action que Je fais, par le prisme de perception que Je choisis, par l’Emotion que Je investis.
Je est un autre que je laisse sur le chemin, alors que L’Autre est en Moi, L’Autre est de Moi; isomorphisme entre le porteur d’Ombre et son spectre, unicité dupliquée et maintenue unie. Un autre que je laisse sur le chemin est un autre autre, cette multitude d’autres que Je ne suis pas devenu -ce qui est un Acte-, autres que Je ne suis plus, autres que J’étais, autres que J’aurais été … Je est un autre qui est aussi semblable que différent, un autre que je dessine et qui ne me détermine pas. Je est une explosion perpétuelle à chaque instant. Alors que Moi, un glissement fin et écorchant.