Certains mots (derrière lesquels se cachent des concepts) se trouvent à toucher des champs sémantiques connexes et très proches ou quasi-similaires. Ce qui facilite la possibilité de confusion. Si on ajoute à cela le côté vicieux et gâté de l’enfant perpétuel qu’est l’animal humain, on voit bien la facilité inouïe de favoriser la confusion.
Chaque mot est différent de l’autre, et cela en s’assumant se tenir dans un même langage pour simplifier l’approche. Pour preuve ?? Simple, on peut juste considérer l’effort mis pour en créer plus d’un (de mots) de la part du paresseux inné qu’est l’animal humain. Cette différence se trouve dans la distance séparant les champs sémantiques, ainsi que leur traduction factuelle possible.
Certaines confusions sont vraiment chiantes, en cela qu’elles empêchent (ou du moins rendent difficile) de penser correctement. Par « pensée correcte » j’entends un ensemble de processus mentaux qui respectent du début jusqu’à la fin un séquencement logique cohérent, et compréhensible. Ces trois attributs (logique, cohérent, compréhensible) sont les conditions de l’efficacité de la pensée, dans sa transformation en choix, décision et acte, choses ayant un effet direct et sur la vie individuelle, et sur la vie d’un groupe. La différence séparant les mots, tel que décrite un peu plus haut, se manifeste dans les traductions factuelles des mots. Ces traductions s’expriment dans des choix, des décisions, des actes, et tout ce qui constitue la vie sociale de ce bavard convulsif qu’est l’animal humain. Calculez ces choix/décisions/actes dans différents champs : psychique, social, politique, économique, micro, macro etc. Tout en calculant n’oubliez pas le temps et le cumul des autres choix/décisions/actes appelé Histoire. Ce cumul à un poids qui évolue exponentiellement. La traduction factuelle possible d’un mot « A » est différente de celle d’un mot « B ». Et quand on prend « A » pour « B », c’est toute la réalité factuelle qui change, sans que le discours et ce qui est dit [donc ce qui sert à la tête pour penser] ne change. Un dédoublement se crée entre une réalité factuelle vécue par le corps, et une réalité virtuelle simulée par le corps.
L’une de ces confusions que je trouve vraiment chiante est celle qui empêche de distinguer la compassion de l’empathie. La compassion, vicieusement adorée par le côté gâté qui aimerait jeter l’ombre sur le fait que tout un (y compris soi) chacun est autant libre que responsable, se défend par les phonèmes de « l’empathie », tout en assurant cette suprématie morale à celui qui compatit et ce déni de responsabilité à celui avec lequel on compatit.
C’est bien d’avoir pitié, c’est humain, rose et joli. Surtout avec de la bonne musique avec. Enfin, si c’est bien ou pas, on ne peut savoir, mais il est couramment connu que c’est valorisé comme « bien » que d’avoir pitié. Et on comprend que l’empathie c’est ça. Quand une victime arrive (enfin) à gagner contre son agresseur, c’est bien de faire preuve d’empathie, et de se mettre à la place de l’autre, cet ex-agresseur devenu, par sa défaite, proche de l’habit de victime. Il est bien sûr sous-entendu qu’il faut se mettre à sa place dans sa souffrance. La souffrance est gênante, pour le moins dire, et qu’on se la mette sur soi est bien pour savoir penser à l’autre. Bien que ce soit clair qu’il ne s’agit que de compassion ici, mais on continue à avancer l’empathie comme argument.
L’empathie ne dévalorise pas l’humain. Contrairement à la compassion, qui oublie d’un trait la responsabilité de l’être humain. En supprimant cette petite chose qui dit que c’est le propre de l’humain que de s’empêcher. Quand on compatit, on ne s’oblige pas à sentir la puanteur normative de l’autre, il suffit juste de se fier à son image de corps policé. Et cette image est déshumanisante. Celui avec lequel on compatit est celui que l’on prend pour un sous-humain qui ne mérite pas d’être assumé. Une exception qui nous rappelle la grandeur de l’autre humain que nous sommes. Alors que l’empathie est cette chose qui permet au médecin d’intervenir sur la plaie ouverte, tout en mettant ses oreilles en sourdine face aux cris de douleur. L’empathie oblige l’humain à consommer la souffrance enclenchée de l’autre, tout en ne le laissant pas tomber de son statut d’humain. La compassion permet de méditer la souffrance, comme objet poétique, ou genre de saveur esthétique assez forte.
Les traductions factuelles possibles et réalisées de ces deux mots sont différents, et notre réalité commune -que ce soit à l’échelle microscopique ou macroscopique- se trouve en distorsion par le déphasage et les différentes congestions qui découlent des différences non respectées entre les deux mots. Telle confusion interdit la possibilité de penser la justice, car elle empêche de penser clairement les souffrances, leurs cycles de vie, les méthodes efficaces pour y remédier …