Ce jour là, il faisait un bon temps pour mourir.
Le ciel était gris, des strates de nuages aux différentes luminosités se superposaient et passaient doucement. Le vent ne soufflait pas fort, et aucun nuage n’était assez foncé pour annoncer de la pluie. Il ne faisait pas beau. Il ne faut surtout pas mourir quand le temps est beau. Quand le temps est beau, il faut sortir savourer. Quand il fait beau la vie est là avec tous ses « peut-être que ».
Ce jour-là fût juste le bonjour. Un concours de circonstances temporelles précises. Un silence absolu dans ma vie. Ce jour là, l’idée de disparaître était juste apaisante, et silencieuse. Tout est mis en scène pour faire croire à un simple accident. Aucune note à laisser, aucune envie de communiquer quoi que ce soit à qui que ce soit. Aucune envie, en état de repos total. Ce jour-là, j’avais la paix à l’esprit. Je savais que ma disparition en ce moment-là n’allait causer de peine affligeante à personne.
C’était il y a un peu moins d’un an. Depuis la fin de Janvier, ma résistance face à la dépression chronique commençait à faiblir et à se détruire exponentiellement, jusqu’à un anéantissement total en mai. Une avalanche de mauvais événemens conjugués à une perte inexprimable. Et puis, le contexte du confinement n’aidait pas. Me noyant de plus en plus, la solitude, l’isolation et les abandons étaient mes compagnons quotidiens.
Ce n’était pas la dépression, encore moins les déceptions et mauvaises expériences, qui m’avaient mené à ce jour. C’était la fatigue. Une fatigue double, celle des peines qui me laissaient pleurer des heures et des heures durant sans que j’y puisse rien, et celle du souci des autruis, ceux qui sont chers, et qui ne peuvent qu’être déçus par mon état d’immobilité. Je me savais insupportable, et j’ai fini par me l’être. C’était aussi la lassitude, j’attendais que mon corps s’épuise pour qu’il sombre en plein sommeil. J’ai l’habitude depuis mon enfance de compter sur mes rêves, car je rêve beaucoup. Je rêve quasiment chaque nuit, je ne me rappelle pas d’une seule nuit passée sans rêves. Et mes rêves étaient mon seul refuge, et ça me lassait d’avoir à les attendre, ça me lassait de n’avoir d’intérêt réel que pour eux, ça me lassait de goûter à cette perte totale du goût.
J’avais cherché à parler avec des gens, suivant les conseils. Mais l’énergie n’était plus là. Jusqu’à ce que ce jour arriva. Et il faisait vraiment un bon temps pour disparaître. Au plus, on se sentira désolé, et ce n’est pas grave. Etant ce moment là dans ma tête mon dernier acte, je tenais à le garder pour moi.
Durant ma vie, j’ai beaucoup lu sur les pulsions suicidaires, les suicides, les différentes approches psychologisantes. Mais je n’avais jamais vu ou lu la chose telle que je l’avais vécue après. S’il est vrai que je n’éprouvais pas de l’amour envers ma personne, je n’éprouvais pas non plus de la haine envers cette même personne. C’est envers ma vie que j’avais des sentiments mitigés. Et puis, ce jour-là, je n’avais même pas touché au pic de la dépression, qui viendra quelques mois après. Et puis, je ne voulais surtout rien dire à personne, aucun message par l’acte. Celà ne s’était pas présenté comme acte social, mais comme acte purement existentiel.
C’était juste un silence absolu, dans mon univers affectif et émotionnel. Je le voyais clairement, ce silence étendu. Je pouvais disparaître, comme une goutte d’eau qui se pose tranquillement au centre d’une douce vague qui s’estompe vite fait. L’image était douce, réconciliante, apaisante. Je sentais n’avoir plus besoin d’éprouver quoi que ce soit. Je n’éprouvais aucun regret. Juste un « C’est tout, ça suffit jusqu’ici. Fin de voyage ».
Si j’en parle aujourd’hui, c’est qu’il y eût un imprévu ce jour là. J’avais fumé un joint lourd, me rappelant de mes plus beaux souvenirs pour n’en choisir qu’un au moment où je me pose dans la cuisine après avoir ouvert le gaz. Je ne peux pas fumer près avoir ouvert le gaz sinon ça risque d’exploser, ça fera du bruit et ça gênera les voisins. Sans mentionner que mourir brûlé est loin d’être l’une de mes morts favorites. Finalement j’ai choisi le souvenir du vélo, j’avais onze ans, El Mourouj 5 était encore verte ce temps là, je roulais à pleine vitesse, entouré de prés, les mains en l’air avec le souffle du vent qui me prenait dans ses bras à chaque fois que je le prenais dans les bras. Me posant sur le banc de la cuisine, je remémorais cette sensation de nager dans le vent, cet élément qui m’avait fait mal et qui devait m’aider à mourir. Je savourais cette image et cette promenade au moment où l’imprévu arriva.
Le moment est allé après, et j’ai dû vivre. On ne peut disparaître à sa guise en présence d’autrui. Je sais que je risque de vivre pire que ce que j’ai déjà vécu, et que je n’aurais peut être pas la chance de rencontrer un second moment comme celui-là. Hélas, ça ne me fait pas peur. Si j’ose dire, ça me fait même marrer. Ce qui est sûr, je continue toujours de rêver. Chaque nuit.